Aliocha Iordanoff expérimente l’entreprise libérée depuis 10 ans au sein de son agence. Il donne des conseils pour transférer cette agilité aux PME ou aux grands groupes. Une marque employeur libérée, c’est possible? Un peu d’inspiration!
L’agence Semaweb, agence Web dédiée au référencement naturel, a proposé en Janvier pendant le Festival transfo à Grenoble un petit déjeuner intitulé “L’entreprise libérée (pour de vrai) : quelle démarche?”. Pendant ce moment de partage, Aliocha Iordanoff, Directeur de l’agence, a transmis son retour d’expérience. J’y étais, et je n’en ai pas perdu une miette. Notre agence est dédiée à la Marque employeur, qui plus est digitale. J’attendais de ce petit déjeuner un petit vent de fraîcheur, et je ne m’y suis pas trompée. Je radote, encore, mais pour la bonne cause : la Communication RH, c’est bien, mais une vraie démarche de Marketing RH, c’est mieux. A force d’écumer le web à la recherche d’articles inspirants, le constat est sans appel.
Nous le pensons toutes et tous : dire qui on est est essentiel, savoir qui on est vraiment, bien plus urgent. Mais savoir se transformer est une compétence encore plus puissante : c’est ce qui fait la différence entre une entreprise qui donne envie de s’engager, ou une entreprise qu’on associe plutôt à une voie de garage, ou “juste” une ligne de plus sur son CV. L’entreprise libérée n’est évidemment pas la panacée, mais elle a le mérite de révéler les attentes des nouvelles générations : une entreprise plus agile où le rapport au travail est épanouissant et le management humain. Je suis revenue interviewer Aliocha, pour mieux connaître son expérience et voir ce que des entreprises comme celles de nos clients pouvaient en tirer pour mieux gérer leur Marque employeur.
6 questions à Aliocha
Aliocha, vous avez vous avez fondé Semaweb en 2008. Vous dites avoir démarré votre projet dans l’idée d’être “heureux” plutôt que de créer une entreprise libérée.
Je voulais créer un contexte de travail dans lequel je puisse faire des choses qui m’intéressent, mais surtout dans lequel je sois bien. Le métier était presque secondaire. Après, le vocable d’entreprise libérée… Je n’étais pas à la recherche d’une mode ou d’une étiquette quelconque. Ma première salariée est arrivée au bout d’un an et demi, donc ça s’est mis en place progressivement. Une relation de confiance se construit en binôme, et ensuite plus on est nombreux, plus ça pose des questions complexes, parce qu’il y a une diversité de personnes, d’origines, de parcours et de valeurs. Ce n’est pas forcément facile de concilier les envies de chacun et la vision que j’avais de cette entreprise. Ce sont nos clients et les entreprises qu’on côtoie qui nous ont dit que ce qu’on faisait, c’était de l’entreprise libérée. Je ne suis pas sûre de savoir ce qu’on est exactement, mais c’est la friction avec l’extérieur qui nous renvoie notre différence.
En quoi votre entreprise est-elle différente des autres, justement?
D’abord, la priorité des valeurs est très clairement définie, on est tous d’accord là-dessus, c’est dit, et c’est en fonction de ça qu’on prend les décisions. Notamment le libre-arbitre, la liberté et le bien-être de chacun. Ensuite, je me rends de plus en plus compte qu’on a créé une organisation où les décisions se prennent très très près de l’opérationnel. Par contre, les décisions ne se prennent pas seul. L’expérience nous montre que les décisions prises seul étaient plus fréquemment mauvaises que les décisions prises à plusieurs. Après, la flexibilité et l’autonomie, c’est subsidiaire à la question des valeurs et des libertés. Si on accepte ça, ça veut dire qu’on fait confiance aux gens. Ca veut dire qu’ils s’organisent, et on ne les surveille pas. Chez nous, il n’y a pas de surveillance. Du tout.
Votre agence a un effectif de 8 personnes. Est-ce que vous pensez que ce que vous faites au quotidien, c’est transférable pour d’autres tailles de structure? Une grande entreprise libérée, c’est possible?
Oui je pense, c’est certain. On n’a pas atteint la limite de l’exercice, sauf sur certains aspects. Notamment sur l’agilité. Une équipe agile à mon avis peut difficilement dépasser la quinzaine de personnes. Au-delà, il faut organiser l’agilité autrement, en sous-groupes. Parce que l’agilité suppose énormément de communication entre les membres, d’information. Pour être libérée aussi, une grande entreprise devra probablement se réorganiser. Il y a une vie sociale dans une entreprise. Si on veut qu’il y ait de l’auto-détermination et de la gestion par les salariés, il faut qu’ils soient dans des cercles où ils peuvent s’exprimer. S’il y a 200 collaborateurs, on peut pas imaginer faire une rétrospective du mois où tout le monde va s’exprimer, parce que ça durerait trois jours. Donc on est obligé de redescendre à une granularité d’organisation qui soit relativement petite. Et qui soit humaine, tout simplement. On a croisé des entreprises plus grandes que la nôtre qui adoptaient une partie du discours, mais qui se réfugient derrière des choses assez classiques quand elles rencontrent des difficultés. On sent qu’il y a un marketing sur ce sujet qui est un peu à la mode. C’est attirant pour les jeunes diplômés, les millenials. Ca devient un argument employeur.
Et vous justement, ça facilite vos recrutements? Vous en parlez dans les entretiens?
On ne dit pas ça dans les entretiens. Déjà, on ne fait pas d’entretiens! On organise une discussion avec les gens qui viennent nous voir pour se connaître comme personnes. On n’est pas dans une évaluation de compétences, ou dans une liste de questions/réponses. Ca peut inclure du savoir-être, mais on questionne le projet personnel des gens et leurs valeurs. En général on recrute sur candidature spontanée, et on teste un format actuellement : la première discussion se fait sans moi. Deux ou trois membres de l’équipe reçoivent la personne, une fois, deux fois, et vont voir si “on accroche”. Il faut qu’on arrive à percevoir qu’on se comprend bien sur ce qu’on dit. Parce qu’il y a beaucoup de gens, on leur demande s’ils aiment être autonomes dans leur travail, et tout le monde dit “oui oui, j’adore”. Mais dans l’opérationnel, on a souvent découvert que devant une difficulté ou un stress, les gens vont chercher l’approbation d’un supérieur, ou demander une consigne. Et la question n’est pas “qu’est-ce que je dois faire?”, mais “qu’est-ce que j’ai envie de faire”. C’est assez pauvre, un entretien, pour juger. Donc on recrute avec plusieurs entretiens, mais surtout on recrute si possible avec des stages pour commencer, ce qui nous permet d’avoir un moment “tampon” assez long.
Vos offres d’emploi sont centrées sur l’humain et le savoir-être du candidat. Et elles sont particulières car elles commencent par une photo de l’équipe, puis la description de l’équipe, plutôt que par une description d’entreprise “corporate”…
… Oui, finalement c’est ce qu’on veut dire : si vous venez nous voir, vous allez rentrer dans une équipe, qui existe, qui partage des choses, donc c’est une histoire de personnes avant tout. Et après c’est pas un poste, parce qu’il n’y a pas de fiche de poste. Ce sont des missions qui dépendent de la personne, parce qu’on fera avec la personne qui nous rejoint. Et parfois on a réorienté des postes en fonction de ça. Si quelqu’un a une passion pour la photo, et bien pourquoi pas faire de la photo, et peut-être qu’on peut vendre ça. Plutôt que de se dire qu’on a tel, tel ou tel besoin, et qu’il faut qu’on trouve la personne qui rentre dans cette case. Pour nous c’est un peu l’inverse : on accepte d’être influencés par les personnes qui nous rejoignent. C’est très déroutant pour les candidats. Certains sont désarçonnés et sèchent complètement. Même si on les prévient que ce ne sera pas un entretien mais une discussion informelle, ils attendent des questions. Rien ne se passe comme prévu. Mais c’est intéressant de voir comment se comporte quelqu’un dans une situation imprévue, parce qu’on a métier qui fait qu’on ne fait jamais des trucs prévus!
Pour finir, quels conseils vous donneriez à une entreprise, grande ou petite, pour mettre ça en place?
La partie la plus dure, c’est d’accepter de se remettre en question, de réinterroger nos pratiques. J’ai dix ans d’expérience en gestion d’entreprise, je suis relativement sûr de moi sur certaines choses. Ca ne veut pas dire que ce sera toujours vrai. Il y a des choses qui marchent dans un certain contexte avec une certaine équipe, et un an après, peut-être plus. Ca suppose beaucoup d’humilité dans la posture, parce qu’on peut être compétent, on sait que tout est susceptible d’être remis en question. Il faut être attentif aux signaux qui peuvent réinterroger l’efficacité des pratiques et méthodes. De notre côté, on a une vigilance sur le pragmatisme, sur l’efficacité des choses. Le manifeste agile conseille de se poser la question de voir si on ne pourrait pas faire plus simple. Juste rappeler ce genre de bonnes pratiques interpelle, parce qu’on oublie alors que ça semble être une évidence. Peu de gens le pratiquent. Autre conseil aussi, le travail de l’erreur est à mettre en haut de liste. La crainte de l’erreur va biaiser tout le reste d’un process intellectuel, de prise de décision, ou même de production. On peut dissimuler un début d’erreur, ou une erreur par peur du jugement hiérarchique ou du reste de l’équipe. Il faut sortir de ça et considérer l’erreur comme un apprentissage : l’accepter, mais se demander comment faire mieux. Donc avoir tout de même une rigueur pour éviter la répétition de l’erreur, qui peut vite arriver dans un climat de confiance. Si on répète la même erreur trois fois, ce n’est plus une erreur, c’est une faute.
Et cela aurait été une erreur que de passer à côté de ce retour d’expérience, vous ne trouvez pas? On remercie donc Aliocha pour l’humilité et la justesse de ses propos, qui peuvent sûrement nous inspirer et faire évoluer l’entreprise vers une meilleure expérience collaborateur, et donc plus d’attractivité pour les candidats. Aliocha nous a également donné toute une liste d’outils de management pour libérer son entreprise, alors restez en alerte pour la découvrir dans un futur article!